Une vie à la con (2)

Publié le par Soleildebrousse

Pierre ne mit pas longtemps à la rejoindre. Son bureau proche du sien était organisé à l’identique.

- ça va ? Tu as déjà commencé ? C’était comment ton week-end ?

Jeanne se demanda à laquelle des trois questions elle devait répondre. Les deux premières ne représentaient que de simples mises en contact puisque tout disait qu’elle avait en effet entamé son boulot de la journée. Il aurait suffi que Pierre la regarde avec un peu plus d’attention. La dernière ouvrait une brèche dans laquelle elle n’avait pas précisément envie de s’engouffrer. Elle se contenta donc de hocher la tête en marmonnant un oui puis un bien, merci qui se perdit dans la sonnerie du portable de son collègue aussitôt occupé à poser de nouvelles questions purement rhétoriques.

Jeanne pivota sur sa chaise et saisit le premier dossier de la pile. Elle prit connaissance du litige. Il s’agissait d’une banale affaire de téléphonie. Un abonnement internet qui avait dû être négocié maladroitement et dont on avait négligé de faire le suivi. C’était tellement fréquent. On choisissait à la va-vite, alléché par les publicités tapageuses et avant même qu’on ait réalisé ce qui arrivait,  on se retrouvait dans une situation de totale illégitimité. Il suffisait de ne pas bien maîtriser les rouages de la machine. Jeanne imagina une facture oubliée, un paiement retardé ou tout simplement un RIB mal rempli qui vous attribuait un patronyme fantaisiste. Aucune chance que les serveurs vous reconnaissent. Dubols ce n’était pas Dubois. Impossible d’établir un lien. En quelques semaines, on passait de l’autre côté.

Les sociétés qui n’avaient pas leur contentieux n’avaient que l’embarras du choix. Il ne leur restait qu’à piocher dans une multitude d’organisations apparues au cours de la dernière décennie. Elles se hâtaient alors d’en élire une à partir de critères précis et leur refilaient le bébé. Jeanne se dit qu’en l’espèce, le règlement s’avèrerait facile, car il suffisait que le type adresse en retour le montant de la résiliation et des intérêts qu’on lui réclamait. La somme se montait à une centaine d’euros. Avec un peu de chance, il aurait de quoi réagir et la procédure s’arrêterait tout aussi rapidement qu’elle s’était enclenchée. Dans le cas contraire, la jeune femme devrait encore attendre quelques semaines pour envoyer la seconde relance. Mais les étapes s’envenimeraient assez vite. Bien trop vite. La plupart du temps, de toute façon, elle ne faisait même pas attention aux noms qu’elle retranscrivait sur son clavier. Martin, Lejaune, Régaut. L’ensemble se maintenait à de purs caractères sans aucun signifié.

Publié dans NOUVELLES

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G
On prévient!...J'aime ce que tu fîtes ailleurs. Je suis borné à myspace mais il va falloir que je m'ouvre aux ovaires blogs. Je t'embrasse, fine plume. André.
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K
Comme toujours, une écriture superbe.<br /> Je ne manquerai de venir te lire sur l'overblog!
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