Conte de Noël -(6 et fin).

Publié le par Soleildebrousse

6. Ma mère n’a pas eu de chance. Marie s’est fait choper par la maladie. Je ne crois pas qu’on puisse dire que c’est ce qu’on appelle avoir de la chance. Moi, dans tout ça, je me dis que je n’ai aucune raison de me plaindre. Je ne suis pas malade et personne ne m’a encore abandonnée. Enfin, personne jusqu’à aujourd’hui.

Je n’ai jamais été trop sûre de savoir ce qu’on appelle la chance. Est-ce que venir au monde, c’est une forme de chance ? À la télé, parfois, je vois des groupes qui manifestent pour le droit à la vie. Ils abordent des pancartes sur lesquelles on voit des fœtus déjà formés. Il y a des bulles sur les pancartes avec des slogans. Ça me donne mal au cœur. Ça devrait être interdit de montrer ça. La vie, c’est quelque chose de secret. On doit pouvoir choisir. Je n’ai pas demandé à venir au monde. Le monde me dégoûte. Il n’est qu’une succession de coups bas et de trahisons. 

Il est onze heures maintenant. J’ai fumé toutes les cigarettes. Marie doit dormir. Je l’imagine allongée à côté de sa mère. Sa mère, elle, qui ne la quitte jamais. Sa mère qui l’enveloppe d’une douce chaleur et qui la protège contre vents et marées. Je pense à leurs corps peut-être enlacés. J’ai un peu froid. Je glisse ma main au fond de la poche. L’adresse et le numéro de téléphone sont là, tout à la fois précieux et coupants comme des rasoirs.

Je ne me fais plus d’illusions. Je sais bien que je n’appartiens pas vraiment au monde de Marie. Je crois que je représente une chose utile, pratique et ludique. Je ne suis pas de la famille. Quand on m’emmène, c’est presque comme si on sortait un petit animal familier. Doux au toucher et qui ne salit pas. Je reste la copine. Rien d’autre. Et je ne serai jamais rien d’autre. Tout l’amour que je lui porte pourrait s’avérer un jour très encombrant. Il suffirait qu’une personne aime Marie encore plus fort que moi ou que Marie décide d'aimer quelqu'un d'autre tout simplement. C’est comme ça, l’amour.  Ça va, ça vient. On bazarde à tout va. C’est comme une espèce d’instinct de survie. Toutes les pubs le disent. La vie est trop courte pour s’habiller triste. Ils devraient préciser pour vivre triste ou pour aimer triste. Maman ne m’aime plus puisqu’elle est partie. Maman n’a plus besoin de moi maintenant que papa est parti. Me voilà désormais en trop partout.

Je file dans ma chambre. Inutile que j’attende ce qui ne viendra pas. Il faut que je dorme. C’est mon instinct de survie personnel. Dormir avec un oreiller sur la tête. Ne rien entendre du monde et de ses souffrances. Ne rien entendre de mes propres souffrances.

Maman n’est plus là. Je sens qu’elle ne reviendra pas pour Noël. Marie non plus. Je ferme la porte à clé.  À double tour. J’ai jamais vraiment cru à la chance en fait.

Dans la cuisine, la gazinière brille doucement dans la pénombre de la pièce. Il me paraît inutile qu’elles reviennent maintenant. J’effectue quelques manipulations et je vais dans ma chambre. Je ne me déshabille pas. Papa se moque toujours de ma pudeur démesurée. Je reste allongée sur mon lit, un bras enfoui sous les draps, la main accrochée au petit bout de papier. Doucement, dans le reflet de la vitre, je compte les flashs des guirlandes électriques du voisin d’en face. Dix-sept secondes rouge… dix-sept secondes bleu. Je dois encore attendre. Ce n’est plus maman que j’attends. J’aspire au sommeil. Il faut qu’il vienne peu à peu m’engourdir.

Au dernier moment, juste avant que mes yeux se ferment, ma main droite actionne la molette du briquet.

 

 

Publié dans NOUVELLES

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E
bonjour,<br /> ce qui est bien quand on visite ton site , c'est que l'on y rencontre souvent l'infante au coin d'une rue !!!<br /> <br /> gros bisous<br /> <br /> papa
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S
<br /> Merci !<br /> <br /> <br />
E
étincelle de tes entrailles. la nouvelle est un art qui est tien.
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A
Waouw ! Un texte qui prend aux tripes et vraiment bien écrit. Félicitations !
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S
terrible! ce conte me touche beaucoup...<br /> Bravo.
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S
Sailboat. J'ai toujours cru aux échelles. Alors je n'aime pas qu'on m'interdise...:)
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