Mon coach personnel (3)
Pierre me précéda et me guida tranquillement vers le « Café du port ».
Une terrasse ombragée abritait quelques tables basses entourées de fauteuils d’osier. Il y avait peu de clients. Je vis qu’il choisissait quand même l’emplacement le plus à l’écart. Cela ne me déplut pas et je m’installai aussitôt l’air dégagé.
Mon dernier rendez-vous amoureux remontait à cinq ans auparavant, l’année où je m’étais rendue dans les Pyrénées pour un stage d’épanouissement personnel qui aurait dû transformer ma vie. Enfin, « rendez-vous », c’est évidemment une façon de parler. La brochure avait annoncé une méthode, claire et efficace. Le centre se prévalait d’avoir été adopté pour son sérieux et sa rigueur par une chaîne de télévision française. Personnellement, cela m’avait simplement permis de réactiver mon compteur libido au niveau 1 !
J’avais fait porter mon choix sur un professeur de philosophie fraîchement divorcé. Il était arrivé sur une Kawasaki ZX12R toute neuve, premier acte de sa nouvelle émancipation.
On avait vite fait connaissance. ça m’avait semblé urgent et c’était toujours ça de gagné. A défaut de me réaliser, j’avais au moins gagné en plénitude.
En deux questions à peine, Pierre avait réussi à m’extorquer ces informations et dans la demi-heure qui suivit, je ne sais plus combien de détails supplémentaires, je lui racontai. Tout y passait, ma vie, mon enfance, mon travail, mes parents décédés, mes relations intimes…mon frère handicapé. Nous riions, satisfaits, l’un et l’autre de notre étonnante rencontre. Quand il me raccompagna à mon hôtel, il me serra affectueusement le coude et m’assura que nous nous reverrions très vite.
Je le quittai à regret.
Une fois dans ma chambre, je fouillai des yeux le contenu de ma penderie. En dehors des vêtements de sport de mon frère, je n’avais vraiment pas de quoi séduire mon Tonkinois estival ! Sur le moment légèrement dépitée, je haussai les épaules et décidai de m’acheter dès le lendemain une petite robe noire dans une boutique située non loin de l’hôtel.
Je me rendis dans la salle de bains, ouvris le robinet de la douche et sitôt la température réglée, je me glissai sous le jet. Tout en me frictionnant, je me mis à réfléchir aux événements terriblement étonnnants de cette journée.
Tonkinois ? Comment pouvais-je dire cette chose si stupide ? Je réalisai qu’en deux heures de temps, je n’avais rien appris sur Pierre. Cet homme avait réussi en une seule rencontre à m’extorquer ce que mon propre frère n’aurait jamais réussi à obtenir en dix ans de vie commune.
Un doute atroce m'envahit. J’entrepris de me ronger consciencieusement les ongles. Qu’avais-je fait encore… Une fois de plus, j'avais réussi à monopoliser la parole, me révélant incapable de fournir la moindre attention généreuse. Recrachant un ongle fendillé, je me promis de me rattraper dès le lendemain. Rassurée, je coupai l’eau du jet et commençai à me sécher vigoureusement. Je n’avais pas l’habitude de sortir le soir. Un coup de fil à mon frère me changerait les idées.
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