Impasse
Tu crois que c’est facile ?
Tu crois vraiment qu’on sait ce qu’il faut faire au fur et à mesure que les choses se présentent ?
Il n’y a malheureusement pas grand-chose qui s’apprend ave le temps pourtant…Ni la gestion des conflits, ni la gestion des sentiments.
On attend que tu saches pour tout, et toi, tu ne sais rien ou presque rien.
Autour de toi, chacun se débrouille. Certains ont trouvé de quoi croire quand le sol s’est dérobé un peu trop souvent sous leurs pieds. Quelques-uns ne te donnent jamais la sensation qu’ils peuvent connaître la culpabilité. Ils font les autruches ou les voleurs des quatre coins. Pas vu, pas pris. Ils avancent et toi tu te traines en arrière.
Tu vieillis, ton corps se déforme, ton visage s’élargit, tu as l’impression que tu vas finir ta vie en vieux crapaud, un peu comme Marguerite. Les mains en avant pour contrer les coups, tu luttes de temps en temps, mais tu t’es déjà tant de fois épuisé à te discipliner que tu n’as plus l’énergie pour y croire encore. Presque battu et contre ton gré.
Alors entre deux gâteries, tu essaies à l’occasion de limiter les dégâts. Quoi qu’il en soit, rien ne te rendra ta souplesse ni tes vingt ans.
La machine est en marche depuis trop longtemps.
Bien sûr toi aussi, tu aimes la sérénité. Les jours de grâce, tu la touches du doigt et pfuitt.. Elle s’enfuit aussi vite qu’elle est venue. Il ne reste que l’odeur de plénitude, une bouffée dorée d’un bonheur dont l’existence est soudain une certitude. Tu t’empresses de la serrer dans les recoins de ta mémoire. Grelot prêt à être agité les jours où l’angoisse t’étreint.
Dans ton dos, se sont accumulées des choses bien faites dont tu peux être fier. Quelques savoir-faire, un peu de savoir être. A l’occasion il t’arrive de répondre à quelques questions que l’on te pose et pour lesquelles, ô comble de chance, tu aurais un début de réponse. Certains te font même confiance.
Parfois aussi, tu évoques ta mort et celle des autres. Tu as digéré certains faux bonds imprévus et tu essaies de vivre du mieux que tu le peux.
Mais tu crois vraiment que c’est facile d’envisager de quitter ça ?
Le bruit du croisement des voitures au travers de fenêtre ouverte dans la chaleur de ce quinze août… ça fait shlaf… schlaf… schlaf… accoudé à la portière, tu contemples ravi ton bras nu presque brûlé par l’atmosphère à peine respirable. Tout à l’heure ce sera le vent sur l’épaule dénudée et le picotis du soleil sur la peau colorée…puis encore les voix assourdies d’un groupe de très jeunes filles dont seules les têtes mouillées émergent de l’eau…Tu observeras le cheminement des marais salants, petits carrés de sel dessinés à même tes jambes asséchées…Alors, tu joueras à agiter vaillamment les minuscules phares personnels au bout de tes pieds. Ce sera la caresse légère qui éveille tes sens et te donne envie là, tout de suite, d’aimer. Tu rêveras au cri poussé dans la nuit de la maison vidée, le corps qui se tend puis plus rien. La couette d’hiver qu’on a encore laissée parce que c’est si bon, hein.. ce poids douillet sur les chairs ensommeillées.. Fenêtre grande ouverte au froid ténu de l’obscurité. Comme lorsqu’avant d’entrer dans la pénombre de la grange, tu plisses très fort les paupières pour ne pas être aveuglé...