Humeur maussade

Publié le par Soleildebrousse



J'ai décidé de partir en France à Noël avec l'infante. On essaie de faire le temps moins long. On se relaie.
Lui à la Toussaint, moi, à Noël, nous en février, moi au printemps, nous en été. C'est la chanson du temps qui reste. Année après année....ça fait si longtemps qu'on est partis maintenant. Le temps se rétrécit.
Elle perd les pédales. Sa voix devient atone de jour en jour. Les questions laissent place à de douloureuses plages de silence. Quelques soupirs. Une grande fatigue générale. Une envie de tout laisser tomber. Je repose le combiné. Mes jambes se plient doucement. Je m’affaisse. Comment peut -on en arriver à souhaiter que les choses s'accélèrent ?
Je me déteste à l’idée même de l’évoquer. Son absence me deviendrait si insupportable.
Elle n'est pas ma mère.
Chaque dimanche est une nouvelle épreuve.
Je reçois le poids de son vieillissement.  Je maudis la perte de sa joie de vivre, son obsession des événements qui ne tournent pas rond. Il suffit qu’un truc de guingois se remette un peu d’aplomb pour qu’elle en trouve un autre qui barouette l’un des siens. Un de sa famille (c'est moi qui souligne). Et sa famille s’élargit de jour en jour puisque le temps ne cesse de passer et de lui fournir une tripotée de petits-enfants, de neveux et nièces...
Elle déprime. Et le répète en petits geignements d’animal traqué. On ne peut pas la comprendre. Évidemment.
Il ne semble lui rester qu’une seule source de satisfaction (me dois-je d'appeler cela « bonheur» ?) mais celle-ci n’est pas à ses côtés. Si (par seule volonté) elle s’y trouve, la vieille pomme pense déjà à son départ. Comme une violente amoureuse insatisfaite.
Le cycle des jérémiades reprend. On a beau faire, c’est comme ça. Ce qu’elle pourrait vouloir, on ne peut lui donner.
Une amie infirmière me dit que si elle est ainsi, c'est parce qu'elle l'a toujours été. Incapable de vivre "par" elle-même ou "pour" elle-même. Elle a passé sa vie à gérer pour les autres, à préparer à manger pour sa famille, à attendre que son homme revienne et lui fasse un enfant de plus. Le berceau sagement apposé au lit maternel valdingue dans l’autre pièce. Il n’est pas rentré pour ça tout de même.
Elle obéit, passive ? Qu'en sais-je moi, et qui suis-je pour juger ? J’ai déroulé le fil de sa mémoire pendant les quinze dernières années. Il a fallu qu’elle me fasse confiance. Je l’ai apprivoisée. Peu à peu, une vérité naissait. Très éloignée de celle que reflétaient les cadres sagement déposés sur les sellettes. Parfois, je pense simplement que j’en connais qui suivent le même trajet. Ça me fait peur. Ils sont tout à l'opposé. 
Il en existe d’autres heureusement qui courent après le temps pour lire, fouiller le net, écouter de la musique, s'enregistrer des émissions de radio... bref... qui continuent à bouffer la vie tant qu'ils le peuvent malgré leurs vieux os qui les tyrannisent. Je me dis que j’ai l'impression que certains se contentent de survoler leur vie. Ils se complaisent à compter le temps qui passe. Le temps qu’il fait, les minutes qui restent, le repas en moins à préparer. J’ai honte de mes mauvaises pensées. J’ose parfois penser qu’ils ne sont pas vraiment dignes de la vie que le hasard leur a donnée, un peu comme certains ne méritent pas les enfants qu’ils se sont faits parce qu’ils se révèlent incapables d’en profiter.

Tiens je vais mettre ça sur mon blog. On verra bien.

Publié dans La VIEILLE POMME

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S
<br /> la découverte de la réalité des vies n'est pas toujours facile, on se fait souvent une autre idée des choses et des gens et on culpabilisé de ne pas avoir des pensées plus "correctes" en<br /> réfléchissant à tout ça...<br /> <br /> <br />
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H
<br /> "Tiens je vais mettre ça sur mon blog. On verra bien."<br /> oui !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Enfant, on est habillé par nos parents, gestes et rites : répétition générale. En costumes en peu ridicules parfois. Puis vient la longue période où peu à eu nos rides s'installent en lieux et<br /> places des masques sociaux. Parfois, les rides en viennent à plisser l'intime, et plus de masques alors, seule reste le fond de l'âme à fleur de peau...<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Enfant on est aussi parfois écorchés par nos parents, comme de vieux lapins. Mais notre chair est encore rose. ça sanguinole beaucoup.. un peu comme les blessures à fleur de tête. Vois tu ?<br /> <br /> <br />
P
<br /> Tu as raison. Juger l'autre, c'est se juger soi-même, et gare aux pommes ! Heureusement que je suis pas psy, ça risquerait de me donner envie d'écrire des livres. J'ai eut deux grand-mères qui ont<br /> toutes deux "perdu la boule". L'une était devenue très acariâtre, avec une gestion du rangement très délicate puisque l'on pouvait aussi bien retrouver ses sous-vêtements dans le four de la<br /> cuisine. Quand elle a commencée à nous poursuivre avec un couteau dans la maison, il a bien fallu prendre des mesures et la ranger à l'hospice. Pourtant,encore maintenant, je me dis qu'elle avait<br /> pas tout à fait tord :))) L'autre, dès que quelque chose allait pas, elle levait les yeux et les bras au ciel en disant des trucs vers Dieu que je comprenais pas trop parce que je ne parle pas<br /> italien. Quand elle a eut une canne, c'est devenu un peu dangereux. Quand elle en a eut deux, je me demande si c'est pas pour ça qu'il a fallut l'opérer de la hanche. Oui, de grandes plages de<br /> silence où j'aimais être avec elles. Une odeur de chocolat, une odeur de café. Je crois que ce que je fais aujourd'hui ne me fera pas devenir ainsi. Qui sait ? Qui sait ce que dessineront les peurs<br /> et les joies ?<br /> <br /> <br />
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S
<br /> J'ai bien ri.<br /> <br /> <br />