La cour (2)

Publié le par Soleildebrousse




2- Je traverse la pièce principale et malgré la douleur qui me vrille l’épaule, je cherche le regard des enfants. Aïssatou s’est tue. Elle se trouve dans les bras de sa sœur assise comme les autres sur la natte déposée au pied du mur. Mes yeux essaient de leur dire que tout va bien se passer. Mais seul le silence effaré des enfants répond à mon encouragement muet. Le garde qui jusqu’à présent les maintenait en joue baisse son arme. Il recule d’un pas, effectue un demi tour puis referme le cortège que nous formons.

Nous voici Trinité. Dimanche dernier, revenant de l’église, je portais Aïssatou au dos et les petits à la queue-le-leu traînaillaient gaiement dans la chaleur montante. Nos vêtements fraîchement amidonnés prouvaient à tous combien nous étions fiers de croire en une force supérieure et combien la longue marche pour rejoindre notre communauté s’apparentait à une marche de joie. Chants et danses, missel de cuir usé par la ferveur des pressions. Dieu est nôtre.

Au-dehors, la cour est silencieuse. Les rideaux de fortune qui créent l’intimité des habitations sont d’une raideur de marbre. Je sais que derrière leur fausse immobilité chacun écoute ce qui m’arrive. Les ventres sont crispés par la peur. Les corps cherchent à rétrécir et les poumons respirent à peine. Pas un bruit en cette matinée de dimanche. La messe aura lieu sans nous.

On me fait monter à l’arrière de la voiture. Je crois qu’il serait inutile de chercher une plaque d’immatriculation. Les hommes de l’ombre restent dans l’ombre. Les regards se détournent lors de leurs déplacements dans la ville. Personne ne me parle. Les hommes ont les mâchoires contractées. Demain, si l’on me recherche il n’y aura pas un témoin pour dire à quoi ils ressemblent. Les langues se tairont de peur que le véhicule ne réapparaisse. La sacoche du malheureux ne se démaille pas. Le bon sens remplace l’intelligence. Je ne leur en veux pas. Je roule à tombeau ouvert vers mon inconnu.

La lampe s’allume. La violence de l’éclat me fait une nouvelle fois cligner des paupières. Je me tiens dans une pièce sombre éclairée en un point métallique unique. L’homme qui m’interroge reste en arrière du halo. Il joue avec l’interrupteur. Lumière, noir. Lumière, noir.

A notre arrivée dans la villa, j’ai jeté des coups d’œil rapides autour de moi. Des murs de feuillage, des tôles ondulées masquent la ruelle de latérite. Ils m’ont introduite dans un petit local. Sur les murs verdâtres j’ai eu le temps de contempler navrée les taches graisseuses et les traînées d'excréments séchés essuyées à la main. J’aime tant la propreté.

La porte est tout le temps restée fermée. Un guichet bricolé maladroitement à hauteur des yeux. Ils m’ont attachée à un anneau scellé dans le mur. Impossible de voir ce qui se passe à l’extérieur. Les bruits sont étouffés. Ça fait des heures que ça dure. Je pense à Aïssatou. Elle n’aura pas eu de lait non plus aujourd’hui. Dans mon corsage, mes seins restent douloureux. Mes chevilles et mes poignets sont liés par un fil électrique.
Rien ne m’étonne. J’ai longtemps cherché à imaginer ce qu’ils avaient pu lui faire. Maintenant je sais à quoi ça pouvait ressembler.

[....]

Publié dans AILLEURS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
cette suite est digne de la première partie...<br /> très bien maîtrisée...
Répondre
M
Certes, je n'ai pas encore eu le temps de lire mais...,<br /> je suis BloggerSolidaire,<br /> je laisse un commentaire! ®<br /> <br /> ö
Répondre
S
<br /> OK BOb.. pas de pb.<br /> <br /> <br />
G
L'approche pacifiée de l'horreur est étrange.
Répondre