à fleur de mots

Publié le par Soleildebrousse

Pour les impromptus...

- Tu veux bien fermer la porte ? demanda doucement Clara à l’assistante principale.

Installée devant une simple table d’appoint, elle actionnait rapidement les touches de son clavier. Le logiciel de lecture d’écran faisait son travail quotidien et ne renâclait pas devant la tâche qu’elle lui imposait chaque jour un peu plus longtemps. Anna était sortie faire quelques courses avec le chauffeur. Elle ne tarderait pas à rentrer.

Clara en profita pour chercher rapidement le dossier qu’elle voulait une fois de plus consulter. La voix d’Anna retentit dans la pièce. Clara remonta deux ans en arrière.

Dans les frissons des interlignes, elle déchiffra tout ce que l’autre avait voulu, au tout début, lui taire. Anna parlait calmement, ponctuait les blancs comme autant de silences. La voix d’Anna. Autant de caresses à venir.

C’était une relation qui avait commencé de façon un peu spéciale. À fleur de mots, avaient-elles coutume de dire, en souriant aux anges, planquées derrière leurs mains graciles.

Elles s’étaient trouvé peu de choses en commun tout de même. Des corps désarticulés, des cœurs en papier mâché, une vie vouée au noir et par-dessus-tout une immense solitude que rien ne pouvait apaiser.

Soudain, dans la pièce, un rire léger se substitua au smiley. Devant Clara, immobile, le visage songeur, le moniteur en veille larguait ses poissons tropicaux, miracles vivants de pixels violemment colorés. Ils traversaient sans qu’elle puisse les voir son minuscule écran. A quoi aurait-il servi qu’elle en ait un plus grand ? Pourtant, dans la pénombre de son bureau, elle les sentait  se déplacer - à défaut de pouvoir les contempler - et son esprit vagabond s’en réjouissait.

Au tout début, les jeunes femmes avaient dû subir les voix mécaniques du logiciel.

Clara, de nature inquiète, choisissait une vitesse de lecture lente, allant jusqu’à la décomposition du mot en lettres. B, o, n, j, o, u, r, c, l, a, r, a…

Anna, de son côté, faisait défiler le texte à vitesse rapide. La voix en arrivait ridiculement déformée, mais elle aimait pouvoir entendre plusieurs fois de suite ce bonheur qui avait envahi si soudainement sa vie. Et elle riait, riait de tout cet avenir qui se présentait à elle.

Un jour, enfin, la voix avait égrené.. j, e, c, r, o,i... .

Clara avait changé la vitesse de lecture et elle avait d’une seule écoute saisi les mots désirés.

Je crois que je vous aime.

Le message bourré d’explications, de confidences, de doutes et de peurs se poursuivit encore de longues minutes. Clara avait baissé le volume de peur que tous ces mots brûlants projetés dans l’espace puisse réveiller les pensionnaires de l’étage.

Elles avaient voulu se rencontrer. Chacune avait été calée dans le petit van de son institution. Une fois les chaises descendues et installées sous un orme du parc ensoleillé, elles avaient pu se toucher et découvrir dans la douceur de leurs mains, le visage aimé.

Désormais, elles se servaient d’un logiciel qui reprenait leur propre voix sur les messages. Cela avait demandé beaucoup d’organisation, mais elles y étaient arrivées.

- Clara ? c’est moi, je suis rentrée.

Anna se propulsa doucement vers son amie.

Clara referma le note book et tendit ses yeux à embrasser.

Publié dans POUR LES IMPROMPTUS

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H
<br /> tendres, les yeux.<br /> ps : le titre ?<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Simple jeu de mots. Je pensais au braille en fait. Mais la consigné imposée venait des impromptus. Il y a l'amour aussi, celui qui naît des mots échangés avant de se "voir" .<br /> C'est tout.<br /> <br /> <br />
M
<br /> Il y a tant de façon de parler d'amour et la tienne est vraiment très belle<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Délicat...<br /> <br /> <br />
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S
<br /> .merci d'être passée. Je n'écris rien depuis des mois. Rien de rien . je suis occupée ailleurs ! :)<br /> <br /> <br />